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TEXTES DE LA SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE DE RAMBOUILLET

LIMOURS DEPUIS LA COMTESSE DE BRIONNE

Dans la dernière moitié de XVIIIème, comme l'indique le manuscrit de Prévost, une femme célèbre par sa beauté et son esprit, la comtesse de Brionne, née Julie-Constance de Rohan, achète aux héritiers Montrevault le château de Limours, dont elle se plaît à embellir le parc.

Les poètes du XVIIIème, à commencer par Voltaire, célébrèrent dans leurs vers les charmes de la comtesse de Brionne ; Marmontel soumit à sa haute appréciation ses contes moraux, et le poète Jacques Delille chanta ses jardins de " Limours ".

Au moment, de la Révolution, les scellés sont apposés sur le château : la comtesse proteste de Belgique, soutenant que la nation française n'a pas le droit de s'emparer de son bien, parce qu'elle est devenue étrangère par son mariage, ayant épousé un prince de la maison de Lorraine. Le district de Versailles passe outre ; les meubles du château sont vendus le 17 avril 1793; le château lui-même est adjugé à Bernard César Gournay, homme de lettres, en 1796. La comtesse de Brionne, qui avait émigré, ne revint pas en France et mourut à Presbourg, le 1er décembre 1815.

Lors de la répartition du milliard des émigrés, ses héritiers réclamèrent leur part dans cette indemnité; écartés, d’abord à raison de leur qualité d'étrangers qu'on leur opposait, ils finirent par triompher.

S. M. le roi d'Italie, Humbert 1er, est aujourd'hui un des représentants de la famille de Brionne.

En 1814, Limours fut très éprouvé par l'invasion ; nous possédons une lettre du 17 avril 1814, écrite par Gaucher, huissier faisant les fonctions de maire, signalant au sous préfet du temps la situation navrante des pauvres habitants de Limours.

Le château de Limours fut démoli vers 1835. Espérons que l’histoire restituera à Limours ce que le passé lui a donné.

 

FORGES

De Limours, les voitures de la Société se dirigent vers le château de Pivot, qui était autrefois dans les dépendances de l’ancien domaine de Limours et appartient aujourd'hui à M. Charles Lhermitte ; puis, faisant un coude à droite, remontent vers Forges-les-Bains, où elles ne tardent pas à arriver. Le temps presse et ne permet pas à la Société de s'arrêter à Forges, dont les eaux ont une certaine célébrité; l'efficacité de ces eaux est connue depuis 1822. L'Assistance publique a, à Forges, un hôpital pour les enfants scrofuleux du département de la Seine.

De Forges, on aperçoit le drapeau tricolore qui flotte sur la tour d'Anne de Boleyn, et une salve d'artillerie tirée du donjon annonce que Briis est proche. Le cortège de la Société traverse Briis ; une vigoureuse détonation salue ses membres quand ils passent près du donjon. On est arrivé au restaurant de M. Grosse, où un excellent déjeuner est apprêté.

 

BRIIS

Au banquet qui a lieu dans une grande salle, au premier étage de la maison de M. Grosse, se joignent à la Société M. Goussu, maire de Briis-sous-Forges, et Mme Goussu ; M. et Mme Duvanel ; M. et Mme Mouton : M. Combaz, ancien maire, membre du Comité des antiquités et arts de Seine-et-Oise ; M. Brou et M. Girard, membres du Conseil Municipal de Briis, etc.

La présidence du banquet, en l'absence de M. le comte de Dion, est offerte à M. le comte de Marsy, qui, avec sa bonne grâce habituelle, veut bien l'accepter, M. de Marsy a à sa droite Mme Goussu et à sa gauche Mme Tartary.

Le déjeuner, fort bien servi par Mme Grosse, est excellent. Au champagne, M. Goussu se lève et s'exprime en ces termes :

Monsieur le Président,

Mesdames, Messieurs,

La Société archéologique de Rambouillet fait à notre modeste village un grand honneur en daignant s'y arrêter quelques instants, au cours de son excursion de cette année.

Briis, par lui-même, n'offre plus guère d'intérêt au point de vue archéologique, mais de grands souvenirs s'y rattachent.

La seigneurie de Briis a été l'une des plus considérables de tout le pays, qu'elle dominait par sa position; elle a été possédée par de puissants seigneurs mouvant du roi, avec un capitaine châtelain.

Le château était une forteresse au milieu du village ; il était entouré de murailles flanquées de tourelles et donjon, avec des fossés garnis de ponts-levis.

Le village était une véritable petite place de guerre fermée de murs avec quatre portes, deux au sud et deux au nord.

Le mur d'enceinte était flanqué, de distance en distance, de tourelles dont quelques-unes subsistent encore. Ce donjon que vous avez aperçu et qu'il vous sera permis de visiter tout à l'heure, grâce à l'amabilité de notre romancier poête M. Marcel Mouton, qui l'occupe, est le seul reste de l'ancien château féodal détruit au siècle dernier.

Cette ancienne forteresse parait avoir été construite sous Philippe-Auguste, par l'un des premiers seigneurs de Briis, relevant de la châtellenie royale de Montlhéry, sans doute par Jean de Briis ou de Brie, vers l'an 1200.

Briis et son territoire avaient appartenu précédemment à l'Abbaye de Saint-Denis, à laquelle le roi Pépin en avait fait donation pour frais de sa sépulture dans cette abbaye (768).

L'église de Briis, dédiée à Saint-Denis, a été édifiée par les moines de cette abbaye.

La première charte qui fait mention de Briis l'appelle Bragium.

D’après certains, le mot Briis ou Brie, dans le langage celtique, signifiait : terre grasse ou limon (et cependant notre sol est plutôt sablonneux), ou, d'après d'autres, dans les bois, au milieu des bois ou broussailles.

En 1045, l'abbaye de Saint-Magloire de Paris fut gratifiée, par le roi, de l'église et de la moitié du village, avec droit de justice et de dîmes.

En 1147, Beaudouin, abbé de Saint-MagIoire, céda à chacun des habitants de Briis un quartier de terre pour sa maison et son jardin, à charge par chacun de payer, tous les ans à Noël, une redevance d'un pain blanc ou un denier, d'un chapon ou d'une poule, et une mine d'avoine, outre les corvées d'usage.

Vers la même époque, le même abbé fit construire une église appelée Sainte-Croix et un couvent dans lequel il mit des moines de son abbaye. (Bulle du pape Adrien IV de l'an 1155) L'emplacement de la sépulture des anciens moines de Sainte-Croix, qui était peut-être la crypte de l'ancienne église, a été retrouvée tout dernièrement par l'effet du hasard (le cheval d'un laboureur s'y est enfoncé). Je ne m'étends pas sur l'Hôtel-Dieu créé par Jean de Briis en 1225, ni sur le prieuré de Briis fondé vers la même époque.

Après Jean de Brie et son fils Jean, second du nom, Simon de Briis en 1328, puis Jacqueline de Brie et Philippe de Brie qui vend la terre en 1376 à Jacques de Montmaur, chambellan du roi, seigneur de Gometz.

Eu -1439, Jacques de Montmaur donne la terre de Briis à Jean Dumoulin, devenu depuis patriarche d'Antioche et évêque de Paris, en 1447.

Le seigneur de Briis exerçait alors la haute justice sur les terres de Briis, Bligny, Forges et dépendances, et faisait faire le cri accoutumé à l'issue de la fête de Forges, le 15 août, par ses officiers.

Après Jean Damoulin, Philippe Dumoulin, mort en 1548, puis Guillaume Dumoulin et Jacques Dumoulin en 1554.

D'après Moreri et Sanderus, Anne de Boleyn, femme d'Henri Vlll d'Angleterre, passa dans le château de Briis une partie de sa jeunesse, vers 1520. Son oncle était seigneur de Rochefort (comté de Rochefort, Angleterre), et le frère d'Anne, qui fut exécuté à Londres avec cette malheureuse reine, était appelé Georges Comte de Rochefort. Thomas Boleyn, son père, était ambassadeur d'Angleterre en France.

M. Marcel Mouton vous dira tout à l'heure que les. documents qu'il a pu se procurer au sujet de la jeunesse de la reine Anne de Boleyn, lui permettent d'affirmer que le fait n'est pas douteux, bien que contesté par certains auteurs.

En l572, Jacques de Cocherel devient, par sa femme, née Dumoulin, seigneur de Briis. Après lui, le 16 mai 1616, Christophe de Cardaillac acquiert la terre de Briis.

En 1671, cette terre est vendue à M. de Lamoignon de Basville, premier président au Parlement.

A partir de ce moment, l'histoire de Briis se confond avec celle de Courson dont notre érudit secrétaire nous entretiendra, quand nous irons visiter tantôt la précieuse demeure des successeurs du duc de Lamoignon.

Depuis lors, le vieux château, éprouvé par le temps et les guerres, est tombé en ruines, sauf le donjon, sans doute plus solide que le reste, qui a bravé les siècles et dont le style a été un peu sacrifié par les avant-derniers propriétaires, pour leur permettre d'en faire une habitation originale et suffisamment confortable, dont M. Marcel Mouton va vous faire les honneurs.

Encore une fois, Mesdames et Messieurs, merci pour votre bonne visite, dont notre petite cité gardera le souvenir.

Merci tout particulièrement à M. de Marsy, le distingué directeur de la Société d'archéologie de France, qui a bien voulu accepter la présidence de notre réunion d'aujourd'hui en l'absence de M. de Dion, empêché pour des raisons qui, nous voulons le penser, ne sont pas des raisons de santé.

A mon ami, M. Lorin, toujours si zélé, toujours si infatigable chercheur, toujours si dévoué à la Société.

A vous, Mesdames, dont la présence ici rend si charmante et si gracieuse notre réunion qui, sans vous, serait si grave.

Enfin, à vous tous, mes chers collègues., et en particulier à mes amis Duvanel et Marcel Mouton, qui ont bien voulu aider M. Lorin dans l'organisation de l'excursion de la Société dans notre charmante contrée.

M. le comte de Marsy a répondu à M. Goussu qu'il était très sensible aux paroles aimables qui lui étaient adressées, qu'il était très touché de la sympathie que lui avait témoignée la Société archéologique de Rambouillet en lui offrant la présidence de son excursion annuelle, mais qu'en même temps il regrettait profondément l'absence de M. le comte de Dion, inspecteur général de la Société française d'archéologie, qui, pour la première fois de sa vie, était privé de la grande joie de prendre part à une réunion de sa chère Société, dont il dirige depuis de nombreuses années les travaux; M. le comte de Marsy se fait l'interprète des sentiments de la Société archéologique en exprimant le souhait que l'absence de M. de Dion n'ait pas été causée par la maladie.

Puis, continuant son improvisation, M. le comte de Marsy félicite la Société archéologique des Mémoires si intéressants qu'elle publie chaque année, de l'assiduité que ses membres, dames et jeunes filles même, empruntant aux sports modernes leurs moyens de voyager les plus rapides, apportent à ses excursions, qui mêlent l'utile à l'agréable. Autrefois, ajoute M. le Directeur de la Société d'archéologie, on voyageait lentement, on voyageait peut-être mieux ; mais il ne faut pas se plaindre des nouveaux modes de locomotion moderne, qui sont appelés à rendre nos réunions plus nombreuses, plus faciles et conséquemment plus agréables. L'allocution de M. le comte de Marsy est accueillie par des applaudissements unanimes.

La parole est ensuite donnée à M. Marcel Mouton, qui, dans une langue jeune, mordante, imagée, très littéraire, cause le plus vif plaisir à ses auditeurs charmés ; M. Mouton s'exprime ainsi :

Mesdames, Messieurs,

En remerciement de l'honneur d'être aujourd’hui des vôtres, je n'ai songé à rien de mieux que de vous offrir, pour votre trop courte halte à Briis, l'accès de ma modeste demeure de poète, dernier vestige d'un historique et seigneurial château.

Oh ! Je le sais, je le comprends, Mesdames, Messieurs, ce sont des ruines, les ruines d'il y a quinze ans, lorsque fut relevé ce donjon ; ce sont de vieilles pierres moussues et pensives, des éboulis de courtines, des profondeurs de fossés, des squelettes de poternes, des avancées hardies d'échauguettes qui eussent dû composer un décor de prestigieux archaïsme à ces agapes qu’une aimable communion d'art et de pensée nous fait fraternelles.

Pardonnez donc à cette antique évocation, la réfection, le replâtrage, - d'ailleurs ingénieux, artistique même, - par quoi elle ose ainsi se moderniser à vos yeux de chercheurs jaloux de sincérité dans les survivances et les pastiches d'autrefois, comme nous pardonnerions, avec un sourire un peu triste, un sourire de mélancolique nostalgie, à une femme qui fut très belle et dont la beauté désormais flétrie, mais toujours coquette, nous réapparaîtrait : cheveux poudrés, mouche au menton et attifée des satins frêles et futiles, jolis et parfumés d'une bergère Watteau ou d'une marquisette.

Ce n'est que le devoir de déférer aux instances de nos amis communs, M. Goussu, M. Lorin, M. Duvanel, - qui, d'ailleurs, avec la grâce la plus courtoise, me prodiguèrent, à mon arrivée dans ce pays., les documents chronologiques les plus précieux, - ce n'est, dis-je, que ce devoir de gratitude qui m'incite à aggraver ces quelques paroles de bienvenue d'une très brève notice sur Anne de Boleyn, reine d'Angleterre, élevée au château de Briis, et dont je fais l'héroïne d'un prochain roman historique.

Peu de biographes précisent ce détail du séjour d'Anne en France.

Sandérus, Bayle, Burnet, Michaut, Hume, le P. d'Orléans Friedman et, plus récemment, MM. de la Ferrière et Edm. Bapst, se contentent de mentionner avec les dates les plus contradictoires, que la mère de la grande Élisabeth passa sa jeunesse chez un seigneur de Briis, son parent.

D’aucuns ont écrit Brie, en Seine-et-Marne.

Cette dernière allégation est suffisamment infirmée par les faits suivants :

1° Philippe du Moulin, seigneur de Briis et échanson ordinaire du roi François ler, connut Thomas Boleyn, père d’Anne, à la cour, lors que ce dernier s'y trouvait en qualité d’ambassadeur d'Angleterre. Du Moulin consentit à se charger de l'enfant, dont la présence à Londres eut été une conséquence plutôt importune des relations de Henry VIII avec lady Boleyn, et promit de l'élever " en fille de haute qualité ".

2° Dans un manuscrit autographe d'Anne de Boleyn, faisant partie de la curieuse correspondance échangée par cette dernière avec Henri VIII, de 1330 à 1339., manuscrit qui se trouve dans les fonds de notre Bibliothèque nationale, l'ambitieuse maîtresse, la blonde " haquenée du Roy ", comme l'avait baptisée l'acrimonieuse envie des courtisans, rappelle en termes émus les années d'insouciante jeunesse qu'elle vécut chez son parrain de Briis, son existence de jeux, de chasses, de lectures et de rêveries, où, chaque matin, avant de monter à cheval, elle déjeunait " d'un morceau de lard et d'une chope de bière " .

Aujourd'hui, nos demoiselles de concierges, elles-mêmes, honniraient une telle frugalité avant de partir au Conservatoire.

3° Dans une autre lettre, adressée à Georges de Boleyn, son frère, poète habile et diplomate romanesque, elle parle d'une certaine Simonette, brave bourgeoise des environs de Limours, à laquelle, tout d'abord, ou l'avait confiée et qui, la première, lui apprit à lire et à parler le français.

4° Enfin, il est avéré que la jeune Anne parut à différentes reprises à la cour de François Ier.

La charge d'eschanson du Roi conférée aux seigneurs de Briis, la proximité de ce dernier domaine du château de Rambouillet où, fréquemment, résidaient le souverain et, sa suite, en excursion de chasse et " aultres déduits ", corroborent nos dires, en accentuant les facilités dont jouissait Philippe du Moulin pour présenter sa filleule à la cour des Valois.

C'est dans cette cour fameuse, dans cette atmosphère de luxe à outrance et de luxure affinée, où le Vice s'excisait presque, à force d'esthétique élégance... c'est dans ce milieu de volupteux atticisme et de Chevalerie musquée que la jeune âme d'Anne de Boleyn, en apprenant l'art enjôleur du " doux nenny ", sentit éclore en soi les premières fleurs bleues de son idéal et de ses ambitions de fillette, ces fleurs qui, quelques années plus tard, épanouies dans son propre sang, devaient dresser leur symbolique horreur sur son beau Rêve dévasté.

Voilà, je pense, Mesdames, Messieurs, le point documentaire susceptible de vous intéresser, dans l'histoire de cette reine anglaise, au sujet de son séjour au château de Briis. Aussi, vous veux-je faire grâce des hardies réfutations de dates et de faits sur lesquelles j'ai échafaudé la thèse de mon roman historique, thèse qui tend à prouver que : Anne de Boleyn, maîtresse, puis épouse, enfin martyre de Henri VIII, était fille de ce royal érotomane.

Messieurs les Anglais qui, de tous temps, tirèrent les premiers les pages de leur Histoire trop compromettantes pour le shocking national, eurent, en l'occurence, le soin de détruire les pièces les plus importantes relatives à cette reine.

Maintenant, Mesdames, Messieurs, vous voudrez bien pardonner à ces propos, - qui ne sont d'ailleurs qu'une manière d'avant-propos à l'oeuvre que j'ai entreprise, le manque d'ordonnance et d'aperçus, la brièveté chronographique, l'insuffisance ordinaire d'une demi-improvisation. Accueillez-les donc avec l'indulgence que vous ne sauriez certainement refuser à des fruits un peu verts, à des fleurs pas encore très écloses, dont le plus grand mérite serait de vous être offerts, en prémices, dans leur jardin, par une main amie.

Et, comme la plus éloquente des péroraisons, permettez au dernier arrivé parmi vous de lever son verre à la prospérité de la Société archéologique de Rambouillet, qui, forte de remonter si obstinément, par ses intelligentes études, le courant des siècles, ne saura de longtemps, s’arrêter sur la route de son oeuvre, où les obstacles de demain ne serviront, j'en suis sûr, qu'à l'élever un peu plus, pour lui mieux faire apercevoir, en arrière, dans le crépuscule des Lointains, les beautés mourantes du Passé !...

L'allocution de M. Marcel Mouton, l'auteur de Tendresses et Rancoeurs, achevée, M. Cossonnet demande et obtient l'autorisation de présenter quelques observations sur la famille Dumoulin, qui avait fait l'objet, de récentes recherches de sa part. La parole est également donnée à M. Combaz, qui entretient la Société d'un manuscrit très curieux, relatant jour par jour ce qui s'est passé à Briis-sous-Forges pendant la Révolution, et il offre la primeur de cette intéressante publication aux Mémoires de la Société archéologique.

Puis M. Lorin termine la série des discours en faisant l'éloge des membres que la Société avait dernièrement perdus : de M. Adrien Maquet, qui, de simple ouvrier serrurier, devint un érudit et publia dans les Mémoires de la Société, en collaboration avec M. le comte de Dion, un armorial des familles du comté de Montfort ; de M. Auguste Dreyfus, propriétaire du château de Pontchartrain, dont la Société avait reçu, en 1888, un si brillant accueil. Passant ensuite à ceux que la maladie avait empêchés de se joindre à la Société les précédentes années, le secrétaire de la Société salue le retour à une santé meilleure et la présence à l'excursion de 1897 du sympathique maire de Voisins-le-Brotonneux, M. Georges Favry.

Comme d'habitude, ajoute M. Lorin, nos historiens n’ont point fait défaut à notre réunion d'aujourd'hui. Nous avons parmi nous M. le comte de Marsy, l'érudit et aimable directeur de l'importante publication qui s'appelle Le Bulletin Monumental ; M. Taphanel, qui oublie en ce moment un peu Mme de Maintenon pour ne songer qu'à Paillet des Molières, le fondateur de la Bibliothèque de Versailles ; M. Dutilleux, la cheville ouvrière de la Commission des antiquités et arts de Seine-et-Oise, qu'en ce jour son appareil photographique n'abandonne pas ; M. Maillard, dont les études sont dirigées vers le château de Saint-Hubert; M. Cossonnet, qu'après Malte -Brun tente l'histoire de Marcoussis.

Nos artistes sont brillamment représentés parmi nous par M. Duvanel', de Briis-sous-Forges, dont tous les ans, au salon des Champs-Élysées, les oeuvres sont remarquées, mais qui, à l'heure actuelle, pense uniquement à la bonne organisation de la réunion du 25, dont il a, pour la plus grande partie, le mérite (M. Duvanel a bien voulu nous offrir, pour notre volume, deux dessins de la tour d'Anne de Boleyn et un dessin de Courson, ces dessins, font le meilleur éloge de son talent : nous les reproduisons.) ; les lettres, par M. Marcel Mouton, dont la nouvelle oeuvre va éclore au milieu de nous.

M. Lorin termine en associant à la ,journée si bleu commencée le souvenir du cardinal de Richelieu, le grand homme d'État, qui prépara dans le pays de Limours, que nous venons de quitter, l'unité française.

M. Lorin avait au préalable présenté les excuses de M. Hache, conseiller général ; de Mgr' de Sussex, de M. Lèques, de M. Maurice, de M. Ch. Lhermitte, de M. Pelletier, son beau-frère ; de M. Georges Vernot, etc.

Le déjeuner terminé, les membres de la Société se rendent au donjon, où ils sont accueillis par le maître et la maîtresse de la maison, qui leur font les honneurs de leur curieuse demeure.

La tour de Briis ou donjon d'Anne de Boleyn, élevée sur sous-sol d'un rez-de-chaussée, se compose de trois étages carrés avec terrasse au-dessus, et de deux tourelles latérales.

Le donjon a été meublé par les propriétaires actuels avec un goût très moderne et très particulier. Nous remarquons, parmi les nombreux objets qui attirent nos regards, des christs dont les traits expriment une épouvantable souffrance; une chasuble qui a son histoire, des éditions sur beau papier des oeuvres de M. Mouton, de jolies et aussi de mélancoliques trouvailles. On monte ensuite sur la tour. La vue de la terrasse est superbe et embrasse tout le pays avoisinant; on aperçoit au loin les buttes de Bâville.

Mais la journée s'avance, et la Société devrait déjà être à Courson; les voitures se hâtent et on arrive. M. le comte de Caraman vient au-devant des membres de la Société archéologique, qui lui sont présentés et sont introduits dans la salle dite du président de Lamoignon, où se trouvent Mlle de Frileuse et Mlle de la Beaume, M. Mine et M. Mme et Mlle de Cabaret.

M. Lorin présente un court aperçu de l'histoire de Courson. C'est d'abord Geoffroy Le Maistre, prévost de Montlhéry, qui apparaît en 1515, comme l'un des premiers seigneurs de Cincehours et Monteloup, deux terres d'une certaine importance; il a pour successeur son fils Gilles, le grand orateur qui devint premier président au Parlement en 1551. Gilles Le Maistre fit construire une chapelle, et la chapellenie créée par lui fut érigée en paroisse en 1559. Cincehours et Monteloup appartiennent ensuite à ses héritiers, qui les conservèrent presque un siècle, jusqu'en 1639; cette année-là, ces deux terres furent vendues à Dutronchay, qui y réunit, en 1640, Launay-Courçon.

Launay-Courçon avait été donné près d'un siècle auparavant, en 1552, par François de Clèves, duc de Nevers, à Charles de Lamoignon, seigneur de Basville, chef de son Conseil. Chrétien de Lamoignon vendit Courson, en 1607, à Hérouard. En 1640, les trois terres sont aux mains de Dutron-Hérouard, lequel les revend à Baltazar de Fargues, qui fut condamné à mort et dont les biens furent confisqués.

L'histoire de Baltazar de Fargues est très curieuse. Le duc de Saint-Simon, dans ses mémoires, prétend que le président de Lamoignon fit condamner à mort de Fargues pour s'emparer de ses biens ; mais c'est une pure méchanceté et une erreur grossière, qui a été mise à néant par M. Vian dans son histoire de Saint-Chéron ; la famille de Lamoignon avait répondu, en 1781, par des faits précis à cette insinuation perfide qui se fit jour alors. Saint-Simon raconte :

" La terre de Courson appartenait à un gentilhomme nommé de Fargues, après les troubles de la Fronde, où il avait joué un rôle contre la cour. L'amnistie publiée, il s'était retiré dans sa terre où il vivait tranquille, aimé et estimé de ses voisins; le comte de Guiche, le comte, depuis duc du Lude Vardes et Lauzun s'étaient égarés la nuit à un retour de chasse et cherchant un asile, la lumière qu'ils aperçurent les guida vers le lieu d'où elle partait, qui était Courson, où ils demandèrent retraite jusqu'au jour. Fargues les reçut avec joie, leur donna à manger et les combla de politesse.

De retour à la cour, ils contèrent au roi leur aventure et se louèrent beaucoup de Fargues. A ce nom, qui réveilla dans le coeur du roi le ressentiment de la Fronde

Comment - dit-il - ce coupable-là est dans le royaume et si près de moi ! Il manda le premier président de Lamoignon et lui ordonna de faire rechercher toute la vie de Fargues ; malheureusement il se trouva coupable d'un meurtre que les crimes n'avaient pas dit être fort rares dans ces temps de troubles, et le procureur général eut l'ordre de poursuivre l'accusé qui fut arrêté, condamné et décapité, malgré l'amnistie qui semblait avoir dit effacer tout ce qui était arrivé. Quoiqu'il en soit, ses biens furent confisqués et le roi donna la terre de " Courson " au premier président. "

Le Journal des Savants de mai 1781 réfute très nettement toutes les assertions de Saint-Simon.

(Histoire de Saint-Chéron, tome 1er, p. 369. - Journal des Savants de mai 1781. Bibl. nat. inventaire, 1, 4075, 115. Saint-Simon. Mémoires, Paris, 1873, p. 311. Il existe une notice autographiée sur Launay-Courson de 1839.)

 

Ainsi, Saint-Simon affirme que Fargues était gentilhomme et qu'il fut jugé par le Parlement; il résulte, au contraire, des citations du journal des Savants que Fargues n'était pas gentilhomme et qu'il fut jugé par une commission spéciale siégeant à Abbeville; Fargues fut condamné par un arrêt du 16 mars 1666 non pas à être décapité, mais à être pendu, non pas pour meurtre, mais pour malversation comme fournisseur de pain et munitions pendant plusieurs années à la garnison de Hesdin.

Louis XIII avait pris Hesdin le 29 on le 30 juin 1639; il en avait donné le gouvernement à M. de Bellebrune, colonel d'un régiment dans lequel Fargues était major ; le sieur de la Rivière, beau-frère de Fargues, devint major de la ville de Hesdin. Bellebrune mourut en 1657 ; Fargues chercha à le remplacer; il vendit la ville de Hesdin à Don Juan d'Autriche et fit tirer sur l'armée française.

A la paix des Pyrénées, Fargues parut compris dans l'amnistie; il sortit de Hesdin parla porte neuve et se retira à Courson; mais bientôt il se rendit à Paris où il étala un luxe scandaleux.

Louvois, furieux, fit examiner la conduite qu'il avait eue à Hesdin ; son cas sembla à la justice rentrer non dans les crimes politiques, mais dans les crimes de droit, commun ; une dénonciation précisa les griefs que le gouvernement avait contre lui; il fut arrêté ainsi que son valet Mathurin ; il avoua quatre millions de détournement ; un jour que l'interrogatoire qu'il subissait avait été plus long que d'habitude, Fargues, prévoyant sa condamnation, demanda qu'on lui servît une carpe de quelque prix qu'elle fait; on lui en donna une, mais sans arête de peur qu'il ne s'étranglât.

Les pièces de cet intéressant procès se trouvent, sans doute, aux archives du département de la Somme.

Quoi qu'il en soit, en 1667, Louis XIV donna au président Guillaume de Lamoignon les biens confisqués sur de Fargues. La terre de Courson resta entre les mains des descendants de Lamoignon jusqu'en 1775, époque à laquelle ils vendirent cette terre à Dupleix de Bacquencourt, qui fut guillotiné sous la Terreur. La fille de Dupleix de Bacquencourt avait épousé le comte de Montesquiou-Fezensac, qui, lui-même, maria sa fille au général Arrighi de Casanova, duc de Padoue, qui prit une grande part aux batailles de Wagram, de Leipzig et à la campagne de France. Le duc de Padoue mourut en 1853, sénateur et gouverneur des Invalides.

Le domaine de Courson appartint depuis à son fils, qui fut préfet de Seine-et-Oise et ministre sous le second Empire.

Le château de Courson, rebâti en 1550 par Gilles Le Maistre, augmenté par les Lamoignon, fut restauré en 1822 par l'architecte Berthault, qui dessina le parc. Il se compose d'un grand corps de logis et de deux ailes avec six pavillons.

La Société, dirigée par M. le comte de Caraman, visite les différentes salles du château, qui comptent des toiles de Herrera, de Murillo, de Vélasquez, de Zurbaran, d'Andréa del Sarto, de Rembrandt, de Mignard, de Rigaud, et de Delaroche. On s'arrête devant le beau portrait de la femme de Dupleix de Bacquencourt peinte par Nattier, et surtout devant les souvenirs laissés par Napoléon ler au duc de Padoue.

La Société a achevé son excursion; elle prend congé de M. le comte de Caraman, que M. de Marsy remercie. Ses membres remontent dans les voitures qui les ont amenés, les uns se dirigeant vers Limours, les autres revenant vers Briis-sous-Forges, où ils entendent des vers de M. Mouton et du poète Patrix et visitent en détail l'église, tous ravis de la bonne journée, instructive et agréable, qu'ils ont passée, et de l'accueil excellent que partout ils ont reçu à Limours, à Briis et à Courson.

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