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RICHELIEU, GASTON D’ORLEANS ET LA COMTESSE DE BRIONNE

A LIMOURS

 

Le manuscrit de Prévost, régisseur de la comtesse de Brionne, que nous avons la bonne fortune de publier, résume assez exactement l'histoire de Limours depuis ses origines jusqu'à la fin du XVIIIème siècle ; il complète ce que nous connaissions déjà et apporte des documents nouveaux principalement sur les séjours de la comtesse de Brionne à Limours.

Il nous a paru intéressant d'ajouter au travail de Prévost quelques renseignements sur les séjours à Limours du cardinal de Richelieu, de Gaston d'Orléans et sur la comtesse de Brionne elle-même.

Des détails biographiques sur cette grande dame du XVIIIéme siècle, quelques notes sur Limours pendant la révolution et en 1814, au moment de l'invasion, qu'en outre nous donnons, formeront, croyons-nous, un résumé assez complet de l'histoire de Limours.

 

LE CARDINAL DE RICHELIEU

Tout ce qui concerne la vie du cardinal de Richelieu a une très grande importance et il nous a paru utile au point de vue de l'histoire locale de filer les traces du passage du grand cardinal, à Limours.

C'est le 6 avril 1623 que le cardinal de Richelieu se rendit acquéreur du comté de Limours ; le 14. avril il écrivait à un ami : Je ne puis que je ne vous die la folie que j'av faicte d'achepter Limours en vendant Anssac et ma charge de grand aumônier ; mais il ajoutait que cette folie lui avait été commandée par sa santé qui exigeait son repos dans une maison de campagne aux environs de Paris. (Lettres de Richelieu, t. VIII, P. 525)

Dans une lettre de Malherbe à Racan, datée de Fontainebleau du 10 septembre 162à, le poète fait allusion aux séjours de son protecteur, à Limours : Il s'en est allé, dit-il, chercher quelque repos en sa maison de Limours... vous savez que mon humeur n'est ni de flatter ni de mentir, mais je vous jure qu'il y a en cet homme quelque chose qui excède l'humanité et que si notre vaisseau doit jamais vaincre les tempêtes, ce sera tandis que cette glorieuse main en tiendra le gouvernail. Les autres pilotes me diminuent la peur, cettui-cy me la fait ignorer.

Du 6 avril 1623 au 14 décembre 1626, date à laquelle le cardinal se défit de Limours, il embellit le château de statues, de tableaux, de fontaines, de manière qu'il égalait les plus belles demeures de France ; aussi le 14 octobre 1627 Malherbe écrivait-il :

(Oeuvres de Malherbe, t. 1V, p. 108 et 109. Collect. des grands écrivains.)

Le cardinal avait, à sept ou huit lieues de Paris, une maison embellie de toutes les diversités propres au soulagement d'un esprit que les affaires ont accablé; il a oublié le plaisir qu'il en recevait ou plutôt le besoin qu'il en avait pour se résoudre à la vendre et à employer les deniers à l'achat du gouvernement du Havre. Tout ce que le roi a pu obtenir de lui ça été que lorsque les coffres de son épargne seront mieux fournis qu'ils ne le sont, il ne se refusera pas que par quelque bienfait S. M. ne lui témoigne l'affection qu'elle a de son service.

L'époque du séjour du cardinal de Richelieu à Limours est importante ; Richelieu est entré au conseil, il est parti en lutte contre les calvinistes français qui forment un état dans l'État; à Limours même, à la date du 29 mai 1626 est signée une convention relative à l'exercice du culte des protestants dans les villes où ils ont des établissements.

(Lettres de Richelieu, t. VIII, p. 194-195.)

Limours reçut alors la visite des poètes amis du cardinal, notamment de Boisrobert qui rima, parait-il, malicieusement sur Limours privé d'eau et s'attira, à cette occasion, une verte réplique d'un de ses confrères anonymes en poésie.

(Biblioth. de l'arsenal, manuscrits de Conrart, n° 5414. Nous n’avons pu retrouver les vers de Boisrobert.)

 

A BOIS ROBERT

SUR LA PRIÈRE QU'IL FAIT , A LA FONTAINE CASTALIE

DE DESCENDRE DANS LIMOURS

I

Petit avorton de Parnasse

Tu vas en des lieux trop hantés

Où les vers manquants de beautés

Manqueront d'honneur et de grâce ;

Je préviens le grand Richelieu

Qui te va chasser de ce lieu ;

C'est fait, il te faudra descendre,

Fuy, maraud, d'un rapide cours

Et ne viens plus jamais répandre

Tes sottises dedans Limours.

II

0 ! pauvre troupe abandonnée,

On a reçu l'hommage vain

D'un petit coquin d'écrivain,

Chère troupe, on t’a profanée,

En vain, favoris des neuf soeurs,

Avez-vous eu taut de douceurs,

Boisrobert s'en moque et s'en joue,

Vos vers si beaux, si florissants

Ont-ils pas été dans la boue,

Souillés par les pieds des passants.

III

Gentil port'esponge des Muses,

Il faut pour jamais nous quitter.

Ne reviens plus nous visiter,

Si tu le prétens, tu t'amuses,

Limours, digue des plus grands Roys

A des des prés, des monts et des bois,

Dont rien n'interrompt le silence,

Par tes voix, tes luts, tes vers,

Tu te rendrais par ta présence

Le plus sot de l’univers.

IV

Je n’y connais rien que de rare

Les poètes y sont adorés,

Laisse les cabinets dorés

Dont Apollon nous sépare,

Si tu viens contre son désir,

L'affliger de ce déplaisir,

Qui plus que tout autre le touche,

Tes vers au jardin de Limours,

Ne sortiront que par la bouche

Des chantres de nos carrefours.

 

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GASTON D'ORLÉANS

(Le titre d'acquisition du 14 décembre 1626, par lequel Richelieu vend au roi pour Gaston, se trouve aux Arch. Nat. dans un carton du comté de Limours ; les lettres-patentes, par lesquelles Louis XIII accommode son frère du comté de Limours, furent données en avril 1627 et enregistrées au Parlement le 23 juillet 1621. Arch. nat. Xie 8651, fol. 51.)

Richelieu fut remplacé à Limours par Gaston d'Orléans, frère du roi Louis XIII dont la présence y est signalée par l'extrait de lettre que voici, datée du 12 mai 1630 : Monsieur est, à cette heure à Limours où les princes sont allés le voir, y les y doit fester et puis aller à Dampierre chez M. de Chevreuse ; ainsi il passe son temps le mieux qui peut. Le cardinal de Richelieu avait vendu au roi, moyennant 375.000 livres, le domaine de Limours avec toutes ses dépendances, les fiefs de Villancourt, de la Croix-Blanche, de Ragonant, de Garnevoisin, de Bessuyer, du Jardin, de Roussigny, de Grand-Maison, du Petit-Hôtel et les métairies de Limours, de Roussigny et de Bessuyer ; un prix était fixé à part pour le mobilier qui était très important. Dans de petits vers peu méchants, la Muse historique de Loret note tous les séjours de l'oncle de Louis XIV à partir de 1651 à Limours.

 

Dimanche, 5 juin 1651

Ores que la saison nouvelle

Est seraine, riante et, belle,

Et que les fleurs pleines d'appâts

Semblent naître dessous nos pas,

Dans les jardins et les prairies

D'un gracieux émail fleuries

Il prend à chacun un désir

De courtiser Flore et Zéphir

Et respirer leur douce haleine

Tant dans les bois que dans-la plaine.

Le Roy fut à Rueil jeudy

Et Gaston revint vendredy

De Limours, maison rare et belle

Où fut aussi :Mademoiselle

Pour humer l'air délicieux

Qui règne en ces aimables lieux.

 

Dimanche, 3 septembre 1651.

Gaston, depuis cinq ou six jours,

Est clans sa maison de Limours

Où son illustre fille aînée

L’alla voir une après-dînée

Pour le convier au retour,

De la part, dit-on, de la cour.

 

Dimanche, 21 octobre 1651.

Pour d'autres nouvelles vulguères

Et qui ne vous surprendront guère,

Gaston depuis cinq ou six jours,

Est dans sa maison de Limours

Où, quand il pleut, il joue aux cartes.

 

Samedi 26 octobre 1659.

Monseigneur Gaston, ce soir mesme,

Avec une vitesse extrême,

Suivy de Beaufort et Rohan

Qui sont amis depuis un an

Tout droit à Limours fit voyage,

Soit pour y faire son ménage

Ou pour attendre quelque temps

Des nouvelles des mal-contents.

 

Samedi, 5 avril 1656.

Gaston...

Tire tant qu'il peut vers la Fère

Ayant logé depuis trois ,jours

Dans son cher château de Limours-

Puis Gaston mourut en 1660 et le poète Loret lui consacra ces tristes vers et cette plaisante épitaphe

. . . . . l'impiteuse Cloton

Nous a ravy le grand Gaston,

Ce héros de haute importance

Et du précieux sang de France.

Ny l'inviolable amitié De sa belle et chère moitié,

Ny les cris, voeux, soupirs et larmes

De ces objets remplis de charmes

N'ont pu par toute leur tendresse

Fléchir cette Parque tygresse

Ny retarder d'un seul moment

La mort de ce prince charmant.

 

ÉPITAPHE

Gaston que cette tombe enclôt

Fut fils de France et l'on remarque

Que s'il fût né six ans plus tôt,

Il en eut été le monarque.

La physionomie de Gaston d'Orléans qui fut un brouillon ,offre moins d'intérêt que celle de son capitaine des chasses, à Limours, qui fut un poète d'une certaine valeur, il se nommait Pierre Patrix ; il composa des vers à la veille de sa .mort qui sont restés célèbres ; il songe qu'il est mort.

Je songeais cette nuit que de mal consumé

Côte-à-côte d'un pauvre on m'avait inhumé

Et ne pouvant souffrir ce factieux voisinage,

En mort de qualité je lui tins ce langage

Retire-toi, coquin, vas pourrir loin d'ici ;

Il ne t'appartient pas de m'approcher ainsi.

Coquin ! ce me dit-il d'une arrogance extrême,

Va chercher tes coquins ailleurs, coquin toi-même,

Ici tous sont égaux, je ne te dois plus rien ;

Je suis sur mon fumier, comme toi sur le tien.

 

Dans le même ordre d'idées dépourvues d'ambition, Patrix avait, ainsi composé son épitaphe :

 

Passant, arrête un peu : sous ces vers que tu lis

Gisent de leur auteur les os ensevelis.

Au bord de cette tombe et tout près d'y descendre,

Lui-même fit ces vers pour en couvrir sa cendre.

N'attends pas néanmoins, passant, qu'il te convie

D'apprendre ses vertus, ni son nom, ni sa vie,

Ce qu'il fut dans le monde ou ce qu'il ne fut pas,

La perte que son siècle a faite à son trépas,

Ni comme abandonnant la terre désolée,

Son âme glorieuse au ciel s'en est allée,

Nouvel astre, augmenter les feux du firmament

Ridicules discours, jargon de monument.

Hélas! maudit pécheur, endurci dans son crime

De cent folles amours, éternelle victime,

Et l'infâme ,jouet de mille vanités,

Il n'eut, de son vivant, point d'autres qualités.

0 qu'heureux mille fois le ciel l'aurait fait naître

S'il s'en fût corrigé comme il les sût connaître

Passant, va ton chemin et t'assure aujourd'hui

Que c'est prier pour toi que prier pour lui.

 

A côté de ces vers très connus, que donnent toutes les biographies de Patrix, nous citons pour mémoire une pièce de vers très obscure dans laquelle Patrix fait allusion à Limours (1) "  si peu fameux par les naufrages "  et quelques autres vers de lui inédits, rapportés dans les manuscrits de Conrart.

(1) Recueil de BARBIN, tom. IV. Bibl. nat. IV° 11.550. (2) CONRART. Tom. XXIV, p. 563 et sq).

 

PAROLES POUR UN AIR

 

Parce qu'il ne vous dit rien

Vous niez qu'il vous cajole ;

Mais si vous l'entendez bien

Qu'a-t-il besoin de parole?

Servir et persévérer

C'est assez se déclarer.

Soupirs, regards, petits soins,

En amour tout est langage

Et celui qui parle moins

Souvent en dit davantage.

Servir et persévérer,

C'est assez se déclarer.

 

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LA CAPITAINERIE DE LIMOURS

Le comté de Limours avait été acquis par Louis XIII le 14 décembre 1626 pour permettre au roi d'augmenter l'apanage de Gaston et cette destination fut remplie par les lettres d'apanage du mois d'avril suivant.

En donnant le comté de Limours à son frère, Louis XIII n'établit point de capitainerie à Limours, mais Gaston prit à la tête de ses chasses Patrix à qui il donna le titre de capitaine des chasses, titre que les princes et les simples particuliers eux-mêmes étaient dans l'usage de donner à ceux qu'ils proposaient pour commander à leurs gardes.

A la mort de Gaston, en 1660, le comté de Limours revint au roi et Louis XIV en accorda l'usufruit à Marguerite de Lorraine, veuve de Gaston.

Au mois de septembre 1669, Patrix céda à M. de Baville sa place de capitaine des chasses et de gruyer des bois et forêts de Limours ; en 1689, M. de Courson fut pourvu de la Survivance de M. de Basville et on copia ses provisions sur celles de 1669 ; en 1723, M. de Courson obtint pour son fils, M. de Montrevault, la survivance de ces fonctions de capitaine des chasses.

Mais l'étendue de la charge de capitaine des chasses à Limours fut sujette à de nombreuses contestations et à des procès qui se déroulèrent dans la première moitié du XVIII° siècle entre M. de Montrevault, président à mortier au Parlement de Paris; gouverneur et capitaine des chasses de Limours et les propriétaires des environs de Limours, qui étaient : M. de Chavanne, seigneur haut justicier du Pommeret ; M. Fijant, seigneur haut justicier du grand Ragonant; le comte de Breteuil, seigneur de Quincampoix; M. Bastonneau, seigneur de Montjay ; Mérant, seigneur de Gif; le sieur Antoine, porte-aquebusier du roi, seigneur de Frileuse-le-Rouge ; Dudère de Graville, seigneur de Graville ; du Brochant seigneur du fief Lambert, le Bailly de Bocage, à cause du Petit déluge; l'abbé Guillot, prieur commandataire de Saint-Pierre de Limours ; les chanoines réguliers de Sainte-Croix la Bretonnerie, seigneurs de Fromenteau ; les religieux Célestins de Marcoussis, seigneurs de Frileuse-sous-Briis.

(Mémoire abrégé sur l'affaire de la capitainerie de Limours. Bibl., nat. 4° Fm. 19.588. Mémoire de M. de Chavanne et autres Bibl. nat. 8° Fm. 3.395. Ce dernier mémoire est de 1748. Ces factums sont indiqués dans l'excellent ouvrage de M. Corda.)

Le président de Montrevault, capitaine des chasses de Limours, prétendait que cette capitainerie était égale à celle de Saint-Germain, la Varenne du Louvre et autres capitaineries des maisons royales parce que :

1° Selon lui, Limours était une maison royale entretenue sur l'état des bâtiments du roi ;

2° Des lettres-patentes de 1662 avaient accordé aux officiers du château et chasses de Limours, les privilèges des commensaux de la maison de roi ;

3° La capitainerie de Limours avait été conservée en même temps que celle de Saint-Germain et autres par la déclaration du roi de 1699.

Sur ce fondement, il voulait devenir le maître de la chasse des seigneurs particuliers et ruiner par les servitudes plus rigoureuses et ces seigneurs et les autres propriétaires des héritages de ce comté.

Les quatorze seigneurs répondaient

1° Que Limours n'était point une maison royale, parce que jamais aucun de nos rois n'avaient habité ce château et. qu'il était entretenu sur l'état du domaine et non sur celui des bâtiments du roi ;

20 Que les lettres-patentes de 1662 n'avaient jamais eu d'exécution n'ayant pas été enregistrées, qu'elles avaient même été révoquées par les lettres-patentes de 1664 ;

3° Que le roi, en conservant, en 1690, différentes capitaineries, n'avait rien innové ; M. de Courson, père de M. Montrevault, obtint alors la conservation de la capitainerie de Limours ; elle n'était que ce qu'un seigneur particulier eût gardé, s'il eût été seigneur de Limours.

Tous ces litiges n'eurent plus d'objet quand le comté de Limours passa entre les mains du comte d'Eu, des héritiers Montrevault et de la comtesse de Brionne qui parait avoir été sollicitée d'acquérir Limours, à raison du voisinage de Rochefort-en-Yvelines que son frère aîné possédait et où son grand-père était mort le 10 octobre 1727. 

 

LA COMTESSE DE BRIONNE

La comtesse de Brionne fut une des femmes les plus jolies et les plus spirituelles de la dernière moitié du XVIII° siècle.

Louise Constance de Rohan était née à Paris le 28 mars 1734, du mariage du Charles de Rohan, prince de Montauban, comte de Rochefort-en-Yvelines, gouverneur de Nîmes et de Saint-Hippolyte, et de Catherine-Eléonore de Béthisy.

Le 10 décembre 1742, elle avait été reçue chanoinesse de Remiremont, titre qui exigeait la justification de 200 ans de noblesse.

Elle avait deux frères et une soeur : son frère ainé était Charles-Jules-Armand, prince de Rohan-Rochefort, son frère cadet, Eugène-Hercule-Camille, appelé le prince Camille ; sa soeur, Éléonore-Louise-Constance, épousa, en Espagne, le comte de Mérode.

La chanoinesse de Remiremont fut destinée, en mariage, à un prince de la maison de Lorraine; au mois d'août 1748, le duc de Luynes écrivait :

(Mémoires du duc de Luynes, t. IX, pp. 84, 100, 230.)

Le mariage de la petite Mlle de Rohan, chanoinesse, seconde fille de M. de Montauban, est conclu avec M. de Brionne ; on le déclarera dès qu'on aura demandé l'agrément; le mois suivant, il ajoutait : le roi ayant permis qu'on lui portât à Choisy le contrat de mariage à signer de M. de Brienne, MM. de Brionne et de Montauban ont été à Choisy ce matin.

Le contrat était signé et le Mercure d'octobre 1748 annonça en ces termes la célébration du mariage :

Le 3 octobre 1748, Louis-Charles de Lorraine, comte de Brionne, grand écuyer de France en survivance, gouverneur et lieutenant général pour le roi de la province d'Anjou, des villes et château d'Angers et du Pont-de-Cé, brigadier des armées de Sa Majesté et mestre de camp d'un régiment de cavalerie, épousa Louise-Julie-Constance de Rohan, auparavant chanoinesse de Remiremont. Le mariage fut célébré en présence de M. le curé de Saint-Sulpice, en l'église de l'abbaye de Panthemont, par le prince Louis-Constantin de Rohan a, premier aumônier du roi, prévôt de l'église cathédrale de Strasbourg. L'époux est fils de feu Louis de Lorraine, prince de Lambesc et de Jeanne-Marguerite-Henri de Dufort de Duras et l'épouse est fille de Charles de Rohan prince de Montauban, lieutenant général des armée, roi, gouverneur des villes et château de Nîmes et de Saint-Hippolyte et d'Éléonore-Eugénie de Béthisy, dame du Palais de la Reine.

(Louis Constantin, né à Paris, le 24 mars 1697, y mourut en 1779; évêque de Strasbourg en 1756, il prit, en 1760, comme coadjuteur, son neveu que l'affaire du collier rendit tristement célèbre.

Charles de Rohan, prince de Montauban, né le 7 août 1693, marié le 23 septembre 1723 à Mlle Béthisy dont il eut une première fille, Éléonore-Louise-Charlotte, née le 15 janvier 1728.)

Mlle de Rohan était âgée de quatorze ans et M. de Brionne qui se mariait en troisième noces, en avait seulement vingt trois.

Il avait la survivance d'une des plus hautes fonctions de l'État, celle de grand écuyer de France; il devait entrer en possession de cette charge le 29 décembre 1751.

Le grand écuyer prêtait serment entre les mains du roi sa fonction lui donnait le pouvoir de disposer des charges vacantes de la grande et de la petite écurie; il ordonnait l'emploi de tous les fonds qui étaient affectés aux dépens de la grande écurie du roi et du haras; en cas de mort, du roi, c'était au grand écuyer qu'appartenait le soin de faire fournir le chariot d'armes, les carrosses et les chevaux caparaçonnés.

Quand le roi était à cheval, à la campagne, le grand écuyer pouvait marcher près de la personne de Sa Majesté. Aux premières entrées que S. M. faisait à cheval dans les villes du royaume, où elle était reçue avec cérémonie, le grand écuyer marchait à cheval directement devant la personne du roi, portant l'épée royale dans le fourreau lu velours bleu parsemé de fleurs de lys d'or, avec le baudrier de même étoffe, son cheval caparaçonné de même; le dais qui était porté sur le roi par les échevins lui appartenu. Aux lits de justice, le grand écuyer se plaçait à côté du grand chambellan qui s'asseyait toujours aux pieds du roi.

Comme traitement, le grand écuyer de France avait, de gages ordinaires, 3.600 livres et 20.400 livres de livrées pour sa bouche à cour, et beaucoup d'autres droits (1).

De Mlle de Rohan, le comte de Brionne eut quatre enfants, deux fils et deux filles, le 28 septembre 1751, Charles Eugène, qui fut connu sous le nom de prince de Lambesc, le 26 août 1753, Marie-Josèphe-Thérèse (2), titrée princesse d'Elbeuf ; le 14 novembre 1755, Anne-Charlotte, qu'on appela la princesse Charlotte ou princesse de Lorraine ; le 13 juin 1759, Joseph-Marie de Lorraine, prince de Vaudemont.

(1) État de la France, t. II, année 1736, p. 196 et sq.

(2) Née à Versailles, morte à Turin, au palais Carignan, le 9 février 1797, et inhumée le 11, auprès de son mari, dans les caveaux royaux de la Superga; son mari était décédé le 20 septembre 1780. Ce renseignement, ainsi que plusieurs autres, nous a été fourni par M. le duc de Bauffremont.)

A la cour de Louis XV, la comtesse de Brionne se lia très intimement avec la marquise de Pompadour qui lui écrivait, en juillet 1756, après la prise de Port-Mahon

" Ma chère amie, nous sommes tous dans la joie, il faut que vous la partagiez. L'entreprise sur Minorque a d'abord passé pour téméraire ; à présent qu'elle a réussi, on la regarde comme un présage de nouveaux succès et comme une chose tout à fait naturelle. Le marquis de la Galissonnière a dissipé la flotte anglaise, et le duc de Richelieu a pris le fort Saint-Philippe d'assaut; ce sont là des événements heureux auxquels nous ne sommes pas accoutumés dans nos guerres navales avec les Anglais et qui n'en sont que plus agréables et plus importants. Nos soldats ont montré une intrépidité et une passion pour la gloire qui étonnent. Le maréchal de Richelieu voyant que la débauche et la crapule lui tuaient beaucoup de monde et feraient beaucoup de dégâts dans l'armée, fit dire à l'ordre que quiconque s'enivrerait à l'avenir serait privé de l'honneur de monter à la tranchée, c'est-à-dire de l'honneur de se faire casser la tête.

La ville de Paris va faire de grandes réjouissances, et pour moi, je ferai de mon mieux. On m'a apporté une fort jolie chanson sur cette conquête de Collé, je lui ai donné 50 louis et une pension de 400 francs ; il faut que tout le monde soit heureux, même les poètes dans la joie publique. Dites si vous le voulez au grand homme, qu'il peut venir nous voir cette semaine, pourvu qu'il soit agréable et me fasse rire. Adieu, ma chère amie, je baise vos belles mains et votre petite fille. "

(Anne-Charlotte, née le 11 novembre 1755 (Correspondance de Mme de Pompadour),. C'est Mme d'Egmont, qui la première, à la Comédie-Italienne . apprit aux Parisiens la prise de Port-Mahon.

 

La chanson de Collé, réputée la meilleure, qu'on fit sur la prise de Port-Mahon, était ainsi conçue :

 

Ces braves insulaires

Qui font, qui font sur mer les corsaires,

Ailleurs ne tiennent guères;

Le Port-Mahon est pris,

l est pris (3 fois).

Ils en sont tous surpris,

Il est pris, il est pris !

Ces forbans d'Angleterre,

Ces fou... ces fou... ces foudres de guerre

Sur mer comme sur terre

Dès qu'ils sont combattus

Sont battus (3 fois).

Anglais, vos railleries,

Ces traits, ces mots, ces plaisanteries

Seraient-elles taries ?

Seriez-vous moins plaisant

A présent (3 rois).

Raillant ou combattant,

L'Anglais vaut tout autant.

Avec les mêmes grâces,

Il rit, défend et nous rend ses places ;

Ses bons mots, ses menaces

Ont le même succès

A peu près (3 fois).

Beaux railleurs d'Angleterre,

Nogent, Melun, le coche d'Auxerre,

A vos vaisseaux de guerre

Ont, pendant cet été,

Résisté (3 fois).

Ils les ont maltraités,

Ils les ont écartés !

Notre flotte d'eau douce,

Vous voit, vous joint, combat, vous repousse,

Et, jusqu’au moindre mousse,

Tout est, sur nos vaisseaux,

Des héros! (3 fois).

 

Mme de Brionne répondit le 12 juillet à son amie:

 

" Mille grâces, ma belle amie, de votre attention à m'annoncer l'heureuse nouvelle. Le courrier est venu passer cinq minutes avec moi. Peut-être souperons-nous ce soir ensemble, j'ai cent questions à lui faire. Ces fortifications taillées dans le roc vif, ces mines, ces contremines, ces échelles trop courtes qui n'ont rien fait manquer, ces quatre bombes, ce coup de canon, tirés pendant la nuit pour signal, ce brave officier qui a monté à l'assaut, malgré un bras emporté, il faut qu'il me dise tout cela en détail, j'en ai une impatience extrême. Il avait si bonne grâce sous la poussière et la sueur ! La nouvelle m'a fait tant de plaisir! je l'ai presque embrassé. Adieu, ma chère amie ; vous savez que le prince de Beauveau s'est conduit comme un Alexandre, on dit encore un bien infini de M. de Maillebois. Pour le général, il n'y a rien à en dire; c'est toujours lui, et je suis bien sûre qu'en ce moment, vous ne le boudez pas. "

Mme de Brionne fréquentait le salon de Mme Geoffrin où elle rencontra Marmontel qui fait son éloge dans ses mémoires ; (Mémoires de Marmontel p. 37)

"Après avoir dîné chez Mme Geoffrin avec les gens de lettres et les artistes, j'étais encore chez elle, le soir, d'une société plus réservée, car elle m'avait fait la faveur de m'admettre à ses petits soupers. La bonne chère en était succincte ; (c’était communément un poulet, des épinards, une omelette. La compagnie était peu nombreuse.

Le groupe était composé de trois femmes et d'un seul homme.

Les trois femmes, assez semblables aux trois déesses du Mont Ida, étaient la belle comtesse de Brionne, la marquise de Duras et la jolie comtesse d'Egmont (Sophie-Jeanne, Septimanie, fille du maréchal de Richelieu, née le 1er, mars 1740, mariée à 16 ans.) Leur Pâris était le prince Louis de Rohan.

La comtesse de Brionne, si elle n'était pas la Vénus elle même, ce n'était pas que, dans la régularité parfaite de sa taille et de tous ses traits, elle ne réunît tout ce qu'on peut imaginer pour définir ou peindre la beauté idéale. De tous les charmes un seul lui manquait, c'était l'air de la volupté.

Les nouveaux contes que je faisais alors et dont ces dames avaient la primeur, étaient avant ou après le souper une lecture amusante pour elles, et lorsque le petit souper manquait par quelque événement, c'était à dîner chez Mme de Brionne qu'on se rassemblait. J'avoue que jamais succès ne m'a plus sensiblement flatté que celui qu'avaient mes lectures dans ce petit cercle, où l'esprit, le goût, la beauté, toutes les grâces étaient mes juges ou plutôt mes applaudissements.

Ce qui me ravissait moi-même, c'est aussi de voir de pris les plus beaux yeux du monde donner des larmes aux petites scènes touchantes où je faisais gémir la nature ou l'amour. "

 

(Les Contes Moraux de Marmontel furent publiés pour la première fois en 1761.)

 

De Goncourt, dans la Femme au XVIII° siècle (p. 74-75), apprécie en ces termes Mmm de Brionne. :

" Dans un hôtel de la place du Carroussel la société trouvait Mme de Brionne. Princesse dans toute l'étendue du mot et avec tous les dehors de l'orgueil, elle était digne, imposante, haute dans son maintien, sévère dans ses manières et tenant les gens à distance, elle avait l'air de compter ses regards pour des grâces, ses paroles pour des services, sa familiarité pour des bienfaits. Elle avait l'âme de son visage, la chaleur, la vivacité lui manquaient : mais la sûreté de son jugement, la finesse de son tact, un sens rare acquis dans la pratique des affaires politiques, une facilité de parole qui était merveilleuse, la constance de son amitié, un mélange de raideur, de grandeur froides, lui valaient les respects du monde qui n'abordait son salon qu'avec une certaine gène. "

Mme de Brionne devint veuve après treize ans de mariage ; le comte de Brionne mourut le 28 juin 1761 ; le Mercure lui consacre cette courte, mais sympathique notice :

Louis-Charles de Lorraine, comte de Brionne, grand écuyer de France, chevalier des ordres du roi et gouverneur de la province d'Anjou, maréchal des camps et armées de S. M., mourut à Paris, le 28 juin 1761, dans la trente sixième année de son âge.

Ce prince, qu'un caractère affable toujours égal, une âme sensible et bienfaisante, rendaient. si cher à l'humanité..., emporte les regrets de ceux mêmes qui n'avaient jamais eu l'honneur de l'approcher.

Il était arrière petit-fils de Louis de Lorraine, comte d'Armagnac, de Brionne et de Charny, vicomte de Marsan, grand écuyer de France qui a formé la branche de Lorraine-Armagnac.

Il laisse, pour succéder à ses titres, un fils âgé de dix ans.

La jolie comtesse avait vingt-sept ans à la mort de son mari ; elle ne se remaria point.

 

(1) Salon de 1763, réimprimé par Guiffrey, n° 162.)

(2) Jean-Baptiste Lemoyne, né à Paris en 1704, mort en 1778.)

 

Au salon de 1763 (1), le sculpteur Lemoyne (2) exposa son buste en terre cuite.

C'est sans doute la vue de ce buste qui provoqua cette lettre datée des Délices et écrite le 6 juin 1764, à la princesse de Ligne, par Voltaire

Brionne, de ce buste adorable modèle,

Le fut de la vertu comme de la beauté ;

L'amitié le consacre à la postérité,

Et s'immortalise avec elle.

Vous vous adressez, Madame, à une fontaine tarie, pour avoir un peu d'eau d'Hippocrène. Je ne suis qu'un vieillard malade au pied des Alpes qui ne sont pas le mont Parnasse, ne soyez pas surprise si j'exécute si mal vos ordres. Il est plus aisé de mettre Mme de Brionne en buste qu'en vers. Vous avez des Phidias, mais vous n'avez point d'Homère qui sache peindre Vénus et Minerve.

D'ailleurs, Madame, vous écrivez avec tant d'esprit que je suis tenté de vous dire : Si vous voulez faire de bons vers, faites-les... Quatre vers sont bien longs sous un marbre, mais il en faudrait cent pour exprimer tout ce qu'on pense de vous et de la comtesse de Brionne.

Jetez mes quatre vers au feu, Madame, et mettez en prose

L'amitié consacre ce marbre à la beauté et à la vertu. Cela est plus dans le style qu'on appelle lapidaire ; ou bien jetez encore au feu cette inscription et mettez en deux mots votre pensée : cela vaudra beaucoup mieux.

Pardonnez à mon extrême stérilité et agréez le profond respect, etc.

(Correspondance de Voltaire)

En 1768, la comtesse de Brionne maria sa première fille, âgée de quinze ans, Mrie-Josèphe-Thérèse, avec un prince italien de la maison de Savoie-Carignan.

Au mois d'août la comtesse de Brionne présentait sa fille à Louis XV.

 

Compiègne, 31 août 1768 (Gazette de France, 1768, n° 71.)

La princesse de Lorraine, fille du feu comte de Brionne, grand écuyer de France, a pris congé du roi et de la famille royale le 27 de ce mois, pour se rendre à Turin, où elle va épouser le prince Victor-Amédée, fils du prince de Carignan. Elle a eu l'honneur d'être présentée à S. M. et à la famille royale par la comtesse de Brionne, sa mère.

Le mariage était célébré au mois d'octobre.

Paris, 21 octobre 1768 (Gazette de France, du 21 octobre 1768)

Le mariage de la princesse Marie-Josèphe-Thérèse de Lorraine, fille du feu comte de Brionne et de Louise-Julie-Constance de Rohan, avec le prince Victor-Amédée-louis-Marie Volfgand de Savoie-Carignan, représenté par le maréchal prince de Rohan-Soubise, a été célébré le 18 de ce mois. La bénédiction nuptiale leur a été donnée dans la chapelle particulière de la commune de Brunoi par l'abbé prince de Lorraine, grand doyen de Strasbourg.

L'année suivante, la beauté de Mme de Brionne portait ombrage à la cour, qui rayait son nom des voyages à Compiègne.

Bachaumont écrivait

10 juillet 1769 (Bachaumont, Mémoires secrets.)

Le voyage à Compiègne a donné lieu à une caricature appelée le Combat des anagrammes. Il faut savoir, avant d'en donner le détail, que S. M. s'étant fait représenter la liste des dames qui avaient été du voyage l'année dernière, on a rayé Mme la comtesse de Brionne, Mme la comtesse de Grammont et Mme la comtesse d'Egmont, trois femmes de la cour ayant, à juste titre, quant à deux du moins, de grandes prétentions à la beauté.

En 1770, le prince de Lambesc, qui avait succédé au comte de Brionne dans ses fonctions de grand écuyer de France, fut chargé d'accompagner Marie-Antoinette, sa parente, lors de son mariage avec le dauphin.

Le frère aîné de la comtesse de Brionne avait éponsé Marie-Henriette-Charlotte-Dorothée d'Orléans Rothelin et son plus jeune frère, Camille, était devenu abbé d'Homblières, diocèse de Noyon, chanoine de Strasbourg, général des galères de l'abbaye de Penthemont.

Sa seconde fille, Anne-Charlotte, devint, en 1775, coadjutrice de l'abbaye de Remiremont.

La princesse Charlotte excita une vive rumeur à la cour à l'occasion du mariage de Louis XVI.

Grimm (Grimm, tom. IX, p. 33 à 39, édition de M. Tourneux.) raconte, à la date du ler juin 1770, que peu de jours avant le mariage du dauphin le bruit se répandit que Mlle de Lorraine, qui avait alors quinze ans, danserait son menuet au bal paré, immédiatement après les princes et, les princesses du sang; cette nouvelle causa la plus grande fermentation parmi les ducs et pairs, qui adressèrent au roi Louis XV, le 7 mai, mi mémoire dans lequel ils se plaignirent que Mlle de Lorraine dansât ainsi avant toutes les dames de la cour, alors qu'il n'existait point de rang intermédiaire entre les princes du sang et la haute noblesse.

Le roi répondit de sa propre main qu'il avait accordé cette distinction sur la demande de l'ambassadeur d'Autriche, et il invitait les ducs et pairs à respecter une décision qui ne devait pas constituer un précédent.

Cette réponse du roi, non plus que la parodie qu'on fit du mémoire des ducs et pairs, ne désarma point les amours propres que la raillerie suivante, au contraire, froissa :

Sire, les grands de vos États

Verront avec beaucoup de peine

Une princesse de Lorraine

Sur eux au bal prendre le pas.

Si votre Majesté projette

De les flétrir d'un tel affront

Ils quitteront 1a. cadenette

Et laisseront les violons.

Avisez-y, la ligue est faite.

Signé : l'évêque de Noyon,

Lavaupalette, Bauffrelnont,

Clermont, Laval et Villette.

L'abandon de la salle de danse fut donc sur le point de se produire; quelques heures avant le bal, les dames de la cour refusaient de danser; il fallut que le roi lui-même intervint pour les décider au moyen d'une ingénieuse combinaison.

Mlle de Lorraine dansa son menuet, aussitôt après les princes du sang, puis le roi fit danser un second menuet par le comte d'Artois avec Mme de Laval; ensuite le prince de Lambesc dansa avec Mme de Duras.

De cette façon, la susceptibilité des dames de la cour était ménagée, mais pour cela le comte d'Artois avait du danser un second menuet et Mme de Laval avait dansé avec le prince de Lambesc.

Cette susceptibilité était-elle fondée ? Les partisans de la. maison de Lorraine prétendaient que non et leurs raisons semblent assez plausibles.

La maison de Lorraine était établie en France depuis deux cents ans, et jusque-là elle avait joui de prérogatives qui lui donnaient un rang intermédiaire entre les princes du sang et la haute noblesse ; ainsi les princes de Lorraine recevaient le cordon bleu à vingt-cinq ans, dix ans après les princes du sang et dix ans avant les ducs et pairs; à la cérémonie de l'ordre, ils précédaient les maréchaux, les ducs et pairs, chevaliers de l'ordre.

Mlle de Lorraine était d'ailleurs une charmante personne; voici ce que dit d'elle Mme de Choiseul, écrivant à Mme Du Deffand, le 22 septembre 1771, après avoir fait cet aimable éloge de sa mère

Je ne connaissais pas Mme de Brionne et elle me plait beaucoup, parce qu'elle est en tout fort différente des préventions que j'avais sur elle. C'est une femme très raisonnable, qui a beaucoup plus d'esprit et de fond qu'on ne croit, et qui joint à cela une douceur et une facilité dans la société qui la rendent infiniment aimable. Mlle de Lorraine, qu'elle nous a amenée, est un modèle de grâces et d'éducation. (Lettres de Mme Du Deffand à Mme de Choiseul, tom. 11, p. 55.)

Mlle de Lorraine était, avec sa mère, une assidue de Chanteloup, la splendide propriété située près d'Amboise, où après sa disgrâce, en 1770, s'était retiré le duc de Choiseul.

Les lettres de Mme Du Deffand nous montrent, de 1774 à 1778, Mme de Brionne et la princesse Charlotte faisant de fréquents voyages à Chanteloup.

Le 22 septembre 1771, c'est l'abbé Barthélemy qui envoie à Mme Du Deffand une fable que M. de l'Isle a composée pour Mlle de Lorraine.

Le 30 octobre, Mme de Choiseul écrit à Mme Du Deffand

J'ai été très touchée des avances que vous avez faites à Mme de Brionne, parce que j'ai bien senti que j'en étais l'unique objet.

Le 26 juillet 4775, Mme de Brionne est à Chanteloup avec ses deux filles (Mme de Savoie-Carignan et Mlle de Lorraine) qui sont toutes deux aimables. Ailleurs on dit d'elle : sans prétention, la mère est douce et facile à vivre.

Le mois suivant elle y reste cinq jours de plus qu'elle ne comptait, arrêtée par un mal de gorge.

En 1778, c'est la princesse Charlotte qui y est malade, et l'abbé Barthélemy fait ainsi la relation de sa maladie à Mme Du Deffand:

Chanteloup, ce 20 août 1778.

Nous avons été dans de cruelles alarmes pendant quelques jours ; vous en avez su le sujet: Mme la princesse Charlotte était menacée de la petite vérole ou d'une fièvre maligne, et peut-être de toutes les deux ensemble : fièvre violente avec plusieurs redoublements dans la même journée, oppression dans 1a poitrine, douleur dans les reins, mal de tête avec des élancements insupportables, éruption de boutons sur tout le corps. Tout cela s'est heureusement terminé par une fièvre rouge, dont il ne reste que quelques faibles traces. Nous étions extrêmement inquiets, excepté la malade qui a toujours montré beaucoup de courage, de douceur et de gaieté.

En 1774, Mlle de Lorraine avait été à la veille de se marier, puis le mariage avait manqué ; même déconvenue était arrivée à son frère, le prince de Lambesc, qui devait épouser Mlle de Montmorency. (Madeleine Angélique de Montmorency-Luxembourg.)

En mars 1773, ce prince achetait au duc de Bauffremont son régiment, moyennant 460.000 francs.

(La branche de la maison de Lorraine, réprésentée par le comte de Brionne, avait hérité, au XVI° siècle, du comté de Charny et du titre de grand sénéchal héréditaire de Bourgogne comme descendant de Pierre de Baufremont, comte de Charny.)

La comtesse de Brionne était toujours demeurée dans les bonnes grâces de Voltaire qui, en 1773, lui consacrait quelques vers :

Quel bruit chez le peuple helvétique

Brionne arrive; on est surpris,

On croit voir Pallas ou Cypris

Ou la reine des immortelles ;

Mais Chacun m'apprend qu’à Paris,

Il en est cent presque aussi belles.

Elle jouissait d'une grande autorité et n'hésitait pas à rappeler aux convenances les ambassadeurs même qui y manquaient.

" M. le comte de Mercy-Argenteau, ambassadeur de l'empereur, dit Bachaumont (Bachaumont, 13 mars 1775) dans les fêtes qu'il a données en cette qualité, à l'archiduc Maximilien, n'a pas apporté l'intelligence nécessaire pour l'assortiment des convives. A certain jour, entre autre, il a prié M. le duc et Mme la duchesse de Choiseul avec M. le duc et Mme la duchesse d'Aiguillon. Mme de Brionne, qui était aussi du repas, a fait là-dessus des observations au comte et même des reproches en lui faisant sentir sa balourdise bien opposée à l'esprit de finesse ou de politique que devrait avoir un membre du corps diplomatique. "

Nous avons vu que la comtesse de Brionne acheta, en 1775, dans le voisinage de Rochefort-en-Yveline qui était le domaine de son frère aîné, le domaine de Limours; Limours fut alors le théâtre de jolies fêtes.

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